Où investissent les licornes d’aujourd’hui et de demain ?

Les licornes – start-up valorisées plus d’un milliard d’euros mais pas encore cotées en bourse – sont un succès incontestable de ces dix dernières années. Où investissent celles d’aujourd’hui, et potentiellement celles de demain ? Pour quel impact ?

Garder l'espoir
6 min ⋅ 12/06/2024

1.     Les licornes françaises en trois chiffres

30 Licornes 

Le succès a été très rapide. Il a fallu moins d’une décennie. La France comptait deux licornes – BlaBlaCar[1] et OVHcloud[2] – en 2018. Trois ans plus tard, on en dénombrait seize. Un chiffre qui va encore doubler au cours des trois dernières années. Elles sont trente aujourd’hui. 

1,3 % de la population active

Les 13 000 start-up représentent 400 000 emplois directs, soit 1,3 % des 30 millions que constitue la population active française entre 15 et 64 ans, le double si on compte les emplois indirects[3].

A titre de comparaison, les grandes entreprises françaises emploient 3,61 millions de salariés, soit 12% de la population active, et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) 3 millions de salariés, soit 10%.

70 milliards de valeur cumulée

Les trente licornes ont une valeur cumulée de 70 milliards d’euros. C’est 7 fois la valeur du groupe Carrefour qui emploie 305 000 salariés. C’est presque la moitié de celle de TotalEnergies ; et seulement 2% de Nvidia, la star des puces électroniques pour l’intelligence artificielle.

2.     La focalisation historique sur le commerce électronique et la finance 

Les licornes sont d’abord les enfants du ecommerce et de la finance.

A l’exception notable des domaines de la santé (Doctolib, Dental Monitoring dans l’orthodontie), du transport de voyageurs (BlaBlaCar), et des jeux (Voodoo et Sorare), plus de la moitié des licornes (19 sur 30) est liée au ecommerce et à la finance.

Les plateformes de ecommerce 

L’essor du ecommerce est fondé sur le succès des technologies de plateforme.

Dans les services aux entreprises (BtoB), trois licornes – Mirakl, Contentsquare et Ankerstore – équipent les commerçants. La liste pourrait s’allonger avec Chapvision, lauréat du Trophée des Futures Licornes 2023[4] dans la catégorie SaaS, IA et Big Data. 

Dans les services aux consommateurs (BtoC), on compte quatre licornes : Back Market (produits électroniques reconditionnés), Veepee (déstockage et vente flash), Vestiaire Collective (prêt à porter de seconde main), ManoMano (articles de bricolage). 

Les solutions SaaS pour la finance de particuliers et d’entreprise (fintech)

Dans le secteur bancaire et financier, la technologie numérique a permis de créer de nombreux services innovants (fintech).

 Pour les entreprises (BtoB), cinq licornes ont conçu des logiciels à succès vendus sous la forme d’un service (SaaS[5]) : Payfit (gestion des ressources humaines), Ivalua (gestion des achats), Spendesk (gestion des dépenses), Pigment (planification financière), Pennylane (gestion financière des PME). 

Pour les particuliers (BtoC), deux licornes – Lydia et Swile – proposent de nouveaux moyens de paiement. 

Deux licornes ont fait le choix de l’assurance : Alan (BtoC) et Shift Technology (BtoB). Une troisième émerge, Descartes Underwriting spécialisée dans les risques climatiques, vainqueur du Trophée des Futures Licornes dans la catégorie ecommerce et eservices.

Dans le secteur immobilier, la licorne Iad fournit des outils numériques aux conseilleurs indépendants. 

Qonto offre des services bancaires aux PME.

Ecovadis aide les entreprises à établir leur reporting RSE.

Ledger sécurise les transactions en cryptomonnaies. 

3.     Le début de l’élargissement à l’industrie et la transition énergétique 

Une première licorne industrielle (deeptech)

La France ne compte qu’une licorne industrielle, Exotec, spécialisée dans les robots pour la grande distribution. 

Le plan d’investissement public France 2030 a prévu d’injecter 4,75 milliards d’euros dans les composants électroniques et la robotique. Le Trophée des Futures Licornes a désigné SiPearl, producteur de microprocesseur basse consommation, lauréat dans la catégorie industrie. 

D’autres start-up ont investi le secteur industriel comme Aledia (nouvelle génération d’écran), Prophesee (caméra neuromorphiste), Netatmo (IOT). 

Le plan France 2030 est aussi doté de 0,8 milliards d’euros pour les équipements des usines (4.0) et l’industrie du futur.

Deux licornes dans la transition écologique (cleantech et greentech)

Depuis le succès de Neoen, investisseur dans les énergies renouvelables – solaire, éolien et du stockage –, cotée en bourse en 2018,  deux licornes ont fait leur entrée dans la transition écologique : NW groupe (bornes électriques) en 2022, Verkor (batteries propres) en 2023. D’autres start-up se développent sur le même créneau comme Electra dans les recharges et Tiamat dans les batteries au sodium. 

Les opportunités de rupture technologique dans la transition écologique sont nombreuses.

Elles vont bénéficier du financement de France 2030 : la décarbonation de l’industrie (5 milliards d’euros), l’hydrogène vert pour les systèmes énergétiques (2,3 milliards d’euros) avec notamment la start up Lhyfe ; les SMR[6] (1 milliard d’euros) avec Naarea, Newcleo et Jimmy ; le recyclage des plastiques et le développement des matériaux innovants (0,5 milliard d’euros) avec Bobine et Fairmat, le recyclage et la valorisation des déchets (0,25 milliard). 

D’autres start-up réinventent le stockage des énergies comme l’hydraulique avec Nature et People First. 

4.     L’entrée de l’IA en 2023 et le commencement d’une nouvelle ère

Fin 2023, l’intelligence artificielle (IA) et Mistral AI font leur entrée parmi les licornes.

La start-up est estimée à 6 milliards d’euros au moment d’écrire cet article, la plus élevée des valorisations des 30 licornes devant Doctolib (5,8 milliards), Blackmarket (5,5 milliards) et Contentsquare (5 milliards). 

Cette entrée s’inscrit dans une nouvelle ère incluant le quantique et les robots humanoïdes. Les trois technologies sont liées. L’IA a besoin de la puissance du quantique. L’IA va remplacer les codes et étendre les actions réalisées par les robots. 

Logiquement le plan France 2030 intègre des financements pour ces technologies numériques souveraines : un milliard d’euros pour l’IA et 0,75 milliard pour l’ordinateur quantique. 

Dans ce dernier domaine, la start-up Pasqual a reçu le grand prix du Trophée des Futures Licornes 2023. Elle a des concurrentes comme Alice et Bob, Quandela, LightOn, Qcware.

Dans la robotique, Exotec a ouvert la voie aux robots humanoïdes comme Enchanted Tools et Pollen Robotics. 

Dans la cybersécurité, TEHTRIS XDR a gagné le même Trophée dans la catégorie coup de cœur ; un marché foisonnant ou les start-up sont très nombreuses, comme CryptoNext, VeriQloud et bien d’autres. 

5.     Les grands absents : l’alimentation, les sciences de la vie et l’éducation

L’agriculture et l’alimentation (agrofoodtech)

La révolution agricole et la transition alimentaire n’ont pas encore leurs licornes.

France 2030 a prévu1,5 milliards d’euros de financement dans l’alimentation durable. 

Plusieurs start-up ont investi le champ des agroéquipements : Naïo Technologies (robots agricoles),  Vitobot (robots viticoles), Parrot, Delair Tech, Redbird dans les drones.

Plusieurs start-up sont présentes dans l’agriculture de précision : Sencrop et Weenat dans les stations météo connectées ; Hiphen dans les capteurs connectés aux champs ; Ecorobotix dans les pulvérisateurs intelligents.

Plusieurs candidats émergent dans l’alimentation animale et végétale : Innovafeed (élevage d’insectes), Ynsect (protéines à base d’insectes), M2i (produits biologiques pour protéger sans pesticides).

Les sciences de la vie et la santé (medtech et biotech)

France 2030 est dotée de 0,65 milliards d’euros pour des solutions numériques dans la santé (medtech) et 2,3 milliards d’euros pour une vingtaine de biomédicaments (biotech).

La France a déjà deux licornes dans la medtech (Doctolib et Dental Monitoring) et de nombreuses start-up à potentiel : Cardiologs dans l’interprétation des cardiogrammes ; Withings dans les objets connectés ; Bioserenity dans le diagnostic et le suivi de maladies ; Therapixel, Datexim, TheraPanacea, dans l’IA appliquée à l'imagerie médicale ; AiVision dans le diagnostic des maladies ophtalmiques ; Diabeloop dans la lutte contre le diabète ; Citizen Doc dans l’autodiagnostic. 

Les start-up ont aussi investi le domaine des biotechnologies sans qu’une licorne n’est encore émergée : DNAScript, spécialisée dans la synthèse d’ADN gagnant du Trophée des Futures Licornes dans la catégorie des biotech et de la medtech ; Tissium dans la création de polymères synthétiques et biodégradables ; Treefrog dans la création de cellules souches reprogrammables ; Valvena dans les vaccins Covid-19 ; Enterome dans les thérapies contre diabète ; Genethon dans les thérapies géniques pour maladies rares.  

Les neurotechnologies et les implants cérébraux ont leurs start-up américaines avec Neuralink et son concurrent Synchron. 

L’éducation (edtech)

Le renforcement de l’appareil de formation français pour préparer aux métiers de demain est une priorité de France 2030 avec un financement de 2 milliards d’euros.  

Le marché des start-up dédiées à l’éducation (edtech) est en plein essor, mais sans licornes à ce jour : OpenClassrooms dans les cours sur les compétences d’avenir ; Nomad Education avec dans l’apprentissage scolaire ; Nolej dans les contenus interactifs ; Plume dans l’enseignement de l’écriture ; Foxar dans la réalité augmentée[7].

6.     La valeur réelle des licornes et le test de la Bourse

Pour les start-up et les licornes, l’entrée en bourse est un juge de paix pour connaître leur valeur réelle. 

La cotation passée des licornes a débouché sur des situations très variées. 

OVHcloud, cotée en 2021, vaut 1 milliard d’euros, la confirmation d’un grand succès.

Plusieurs licornes ont dépassé le milliard d’euros : Criteo, cotée en 2013, vaut aujourd’hui 2,1 milliards d’euros en bourse ; Talend, cotée en 2016, est sortie en 2021 pour 2,1 milliards d’euros : Neoen entrée en 2018 devrait sortir en 2025 pour une valeur de 6,1 milliards d’euros. L’entreprise vaut aujourd’hui 5 milliards ; Believe, cotée en 2022, vaut 1,47 milliards d’euros. 

Deezer a créé la déception : cotée en 2022, la start-up a perdu 30% de sa valeur initiale le premier jour de sa cotation. La société vaut aujourd’hui « seulement » 230 millions d’euros.

7.     L’impact des licornes et les licornes à impact

L’impact des licornes

Les premières licornes ont logiquement cueilli les fruits mûrs du numérique, ceux qui sont monétisables rapidement. 

Onze licornes participent à l’essor du ecommerce, dont une dans l’automatisation des entrepôts.

Neuf licornes augmentent l’efficacité des entreprises et de leur back office ; deux licornes celle du système de soins. 

Deux licornes rendent les solutions de paiements plus fluides ; une licorne sécurise la transaction en cryptomonnaie. 

Deux licornes participent au divertissement. 

D’autres fruits sont plus haut à saisir dans l’arbre, ceux dont la valeur ajoutée n’est pas qu’économique mais aussi environnementale et sociale. C’est le cas à ce jour avec les deux licornes de la transition écologique.

Les licornes à impact

Quand on monte encore plus haut dans l'arbre, on accède à des sociétés dont la raison d’être est de créer des bénéfices sociaux et environnementaux. En acceptant une moindre profitabilité, voire pas de profitabilité du tout, avant le retraitement des coûts qu’ils font éviter à la société́.

C’est l’ambition des licornes à impact. 

Une étude très intéressante du BCG, du Mouvement Impact France et de l’Essec leur est consacrée[8].

Elles contribuent par exemple à l’insertion par l’emploi des personnes en situation d’handicap (Café Joyeux et Simplon), elles réduisent les déchets et l’empreinte carbone (Phenix), elles améliorent la santé par la prévention (May Santé). 

Conclusion 

Les trente licornes françaises de 2024 viennent récompenser la cohérence dans la durée d’un politique en faveur de l’innovation et des start-up : création de la Banque publique d'investissement en 2012, création de la Mission French Tech en 2013, création du salon VivaTech dédié aux start-up en 2016, création du pôle universitaire Paris Saclay en 2019, et bien d’autres initiatives. Avec des progrès qualitatifs : l’expansion d’un écosystème d’innovation, une nouvelle génération d’entrepreneurs, une nouvelle filière de développeurs. 

C’est un début très prometteur qui arme la France et l’Europe dans une compétition internationale toujours plus forte avec les États-Unis et la Chine. 

Avec plusieurs grands défis à relever dans le futur : garder, développer, encourager les talents ; réorienter massivement l’épargne des Français de la dette publique vers le financement des entreprises ; développer un pôle français et européen dans l’IA, le quantique et la robotique ; surmonter la probable disruption d’une partie de la « fintech » par l’IA ; diversifier et élargir les licornes à la transition écologique, la santé et l’éducation. 

Des raisons objectives de garder l’espoir. 

 

Garder l'espoir

 

 

Photo de Shridhar Gupta sur Unsplash

 

 



[1] BlaBlaCar est le leader mondial du covoiturage.

[2] OVHCloud est un leader français qui fournit des solutions d’hébergement web et des services d’informatique à distance (Cloud).Elle est sortie du classement en 2021 lors de son entrée en bourse. 

[3] Source : France Digitale, 2023. 

[4] https://tropheesdesfutureslicornes.fr.

[5] Le terme SaaS signifie Software as a service. 

[6] Le terme SMR (Small Modular Reactors) désigne des petits réacteurs nucléaires modulaires, de taille et puissance plus faibles que celles des réacteurs conventionnels. Ils sont fabriqués en usine et transportés sur leur site d'implantation pour y être installés.

[7] https://www.itpublic.fr

[8] BCG, Mouvement Impact France, ESSEC, Licornes à Impact : le nouvel âge de la valorisation ? Les coûts évités pour la société́, nouveau critère de valorisation des licornes à impact, 2023. 

Garder l'espoir

Par Michel Gesquière

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