Le Premier ministre Michel Barnier doit tenter de résoudre la crise des finances publiques et éteindre le feu sans « trop » endommager l’économie française. A court terme, il sera difficile d’éviter un hiver économique. Le modèle français actuel « étato-consumériste » est condamné. Mais il faut garder l’espoir. Un autre modèle est possible.
Les Cassandre avaient malheureusement raison. La crise des finances publiques est bien là.
Le déficit public de 2024 pourrait dépasser 6% du PIB, deux fois le plafond autorisé pour les États membres de l’UE.
Pour se conformer au Pacte européen de stabilité et de croissance, la France doit diminuer de 1% son déficit par an dans les 3 années à venir. C’est un effort de 28 à 30 milliards par an.
Les dépenses publiques sont d’environ 1600 milliards d’euros. C’est 9% de plus que la moyenne de l’UE. Les dépenses sociales sont le premier poste avec 900 milliards. Elles sont à l’origine des 2/3 de l’écart avec l’UE. Le second poste – 700 milliards – est le régalien, l’État, les collectivités locales, les services publics. C’est 1/3 de l’écart avec l’UE.
Les retraites – 380 milliards – sont le premier poste de dépenses sociales. Elles représentent 40% du déficit actuel. Le système dans sa globalité est en déficit. Les cotisations et l'impôt financent 310 milliards sur les 380. Le reste – 70 milliards – est financé annuellement par l'augmentation de la dette.
L’endettement public dépasse les 3200 milliards d’euros, en augmentation de 890[1] milliards depuis 2017 : 220 milliards pour le « quoi qu’il en coute », 200 milliards de réduction d’impôts pour les entreprises et les ménages, 440 milliards de financement du déficit des retraites, 30 milliards d’augmentation d’actifs (prise de participation dans des entreprises).
La croissance économique incluant l’inflation est inférieure au taux d’intérêt, 3% versus 3,5%[2]. La France se prépare à vivre un effet boule de neige : le coût de sa dette devrait augmenter plus vite que la capacité de l’État à la rembourser par la croissance de son économie ; ce qui obligera l’État à emprunter davantage pour rembourser ses intérêts.
La crise financière se double d’une crise institutionnelle et politique.
La dissolution de l'Assemblée nationale décidée en juin 2024 par le président de la République a plongé la France dans une crise politique majeure : trois groupes parlementaires irréconciliables ; un gouvernement sans majorité claire ; un budget préparé dans la précipitation.
Le Premier ministre doit essayer d’éteindre le feu sans « trop » endommager la croissance économique.
Nous vivons bien plus qu’une crise. Nous sommes à la fin d’un cycle de 40 ans.
Le cycle s’est ouvert en 1981.
Il est associé à l’essor de la globalisation. Pendant quatre décennies, la France s’est désindustrialisée.
Mais les Français ont préservé leur pouvoir d’achat par l’expansion continue d’un État providence, une consommation à crédit, le tout financé par un endettement multiplié par 30 !
Jérôme Fourquet a brillamment nommé ce modèle d’étato-consumériste.
Les flux d’immigration ont augmenté. La France est devenue un archipel[3] – une nation multiple et divisée –, traversé par de multiples fractures.
En 2017, Emmanuel Macron a été élu avec une promesse de révolution[4].
Sa politique de l’offre a été déployée avec constance, mais sans remise en cause du modèle existant.
Le chômage a baissé. Les emplois de service peu qualifiés et peu rémunérés se sont développés. L’attractivité économique de la France auprès de la communauté internationale s’est améliorée. Les start-up se sont développées ; une trentaine s’est muée en licornes[5].
Mais prisonnier d’un modèle épuisé, les fondamentaux de l’économie française ont continué à se dégrader : double déficit public et du commerce extérieure ; explosion de la dette ; baisse de la productivité ; et finalement perte de la souveraineté économique.
Ce modèle est à bout de souffle. Et condamné.
Et à court terme, un hiver économique pointe son nez.
On aimerait cesser de jouer les Cassandre.
L’actuel Premier ministre fera de son mieux dans l’intérêt du pays. Mais dans l’urgence, sans majorité au parlement, prisonnier des égoïsmes, sans analyse d’impact sérieuse, le résultat est assez prévisible. Les augmentations d’impôts sont plus faciles à réaliser que les économies.
On aura vraisemblablement, une fois le budget exécuté, 70% d’impôts (dont les suppressions d’exonérations) et 30 % d’économies réelles. Et un report des réformes structurelles.
Ce budget produira un effet récessif (- 0,5% ?) sur une économie déjà atone (1% de croissance), aggravant l’effet boule de neige évoqué plus haut.
Il faut anticiper et se préparer à cet hiver.
Le modèle actuel nous conduit inévitablement vers une paupérisation et une tiers-mondialisation de la France.
Nous consommons plus que nous produisons.
La dette nous donne une illusion de richesses.
Sans la possibilité d’en lever de nouvelles, nous serons contraints de revoir notre ambition à la baisse.
Nous ne pourrons plus financer notre modèle social. Les fractures sociales s’accroitront. Les conflits entre générations apparaitront ; nous commençons déjà à le voir dans les débats sur le pouvoir d’achat comparé des retraités et des actifs.
Les Français ont subi la mondialisation et la désindustrialisation.
Ils ont sauvé leur pourvoir d’achat par une fuite en avant dans l’endettement.
Ils se singularisent par un modèle social dont ils sont fiers.
Y renoncer serait un abandon inacceptable.
Le modèle actuel et les mesures malthusiennes nous mènent dans une impasse.
Que faire ?
Changer de modèle.
Et projeter les Français dans l’avenir avec un nouveau projet de société qui combine la liberté (à laquelle la Chine renonce) et la solidarité (à laquelle les Etats-Unis renoncent).
L’intelligence artificielle, la transition écologique, la démondialisation vont bouleverser l’économie mondiale et notre société dans les 10 à 15 années à venir.
Si nous retrouvons notre compétitivité, c’est une opportunité pour la France de relocaliser, réindustrialiser et nous transformer. Et pour l’Europe, comme Mario Draghi vient de le décrire dans son remarquable son rapport sur la compétitivité de l’Europe.
Nous devons pour cela produire plus que nous ne consommons.
Nos dépenses publiques sont de 9 à 10% au-dessus de la moyenne de l’UE.
La France compte 5,7 millions de fonctionnaires pour 68 millions d’habitants. L’Allemagne a un million de fonctionnaires en moins pour 85 millions d’habitants !
Dans tous les services publics français, notre machine administrative est plus importante que celle de nos voisins européens. La fonction hospitalière compte 1,2 millions de fonctionnaires. Les administratifs représentent 35% dans les hôpitaux français contre 22% en Allemagne.
Notre taux d’emploi est inférieur de 10% de celui de nos voisins.
En libérant l’économie française, en donnant la préférence à l’investissement, l’innovation, la production, le travail, en réduisant nos dépenses publiques nous pourrions accroitre le pouvoir d’achat des Français, financer, rénover et sauver notre modèle social et retrouver notre souveraineté économique, et une voix qui porte en Europe et dans le monde.
La France pourrait, sur une décennie, viser un déficit de 1%, avec un excédent primaire de 1%, c’est-à-dire des recettes supérieures aux dépenses avant paiement des intérêts de la dette. Soit un effort de 5% de PIB, c’est-à-dire, 140 milliards.
En alignant notre taux d’emploi sur celui de nos voisins, nous avons potentiellement 120 milliards de recettes publiques supplémentaires par an.
En réduisant de moitié l’écart de dépenses publiques avec la moyenne de l’EU, nous pouvons économiser 50 milliards par an.
Nous avons des marges de manœuvre pour reprendre le contrôle de la dette, financer les transitions démographiques, écologiques et numériques.
Le déclin n’est pas inéluctable. Un renouveau productif et inventif est possible.
Nous avons besoin d’une dynamique, d’un grand dessein qui motive et réconcilie tous les Français : pour donner envie de produire des efforts collectifs dans l’espoir d’un futur meilleur pour les générations actuelles et futures ; pour libérer notre économie ; pour prendre le virage des bouleversements de ce siècle ; pour réinventer notre modèle social et nos services publics.
Ce dessein suppose de la constance, de la cohérence et de l’inventivité dans les politiques publiques.
Les thèmes et les leviers sont connus, mais il faut les relier entre eux pour donner du sens :
L’innovation, la recherche et la formation.
L’investissement, la réindustrialisation et la décarbonation avec une énergie bon marché, un allègement des charges, une orientation de l’épargne vers l’investissement productif.
L’accroissement de la quantité de travail et sa modulation en fonction des âges de la vie ; l’amélioration de la qualité du travail ; l’augmentation du pouvoir d’achat ; la durée et les modalités de cotisation à la retraite (le retour d’un système à point simplifié et correctement expliqué ?), le complément de capitalisation, notamment pour les jeunes générations.
La réforme structurelle de l’État, le recentrage sur le régalien, la débureaucratisation, l’autonomie et responsabilisations des établissements, la suppression des doublons dans le millefeuille administratif.
L’efficacité des dépenses publiques et la réduction de la taille de la machine administrative.
La France n’est pas le seul pays à devoir se réinventer.
Pour refonder son modèle social et économique, la France devrait s’intéresser aux exemples et réussites étrangères.
Un peu de « benchmarking », d’analyse comparative, d’idées venues d’ailleurs serait utile pour nourrir et décentrer le débat.
Les exemples sont nombreux : Singapour, la Suisse, la Suède, le Danemark, le Portugal et bien d’autres.
Nous sommes dans une crise financière, institutionnelle et un chaos politique. Espérons temporaire.
Bien malin qui peut prédire l’avenir du paysage politique français.
Le pire serait de s’en remettre à l’hypothétique arrivée d’une personnalité providentielle. Si tel est le cas dans le futur, ce sera une chance pour la France.
Une fenêtre décisive et passionnante de 10-15 ans s’ouvre avec de nombreuses opportunités.
C’est une chance pour chaque Français de s’engager : la création, l’innovation, les start-up ; les PME/ETI, la réindustrialisation, l’énergie ; la réinvention des métiers traditionnels comme la finance, l’assurance, les services ; la réinvention de l’État et des services publics ; la protection de la nature et la transition écologique ; la transition alimentaire ; la réinvention du système de santé, le secteur social, le bien-être…
Il faut le faire sans attendre.
L’épargne, le travail, l’investissement, la production étant des valeurs sures pour traverser cet hiver économique.
Photo de Jordan Madrid sur Unsplash
[1] Jean-Pascal Beaufret, ancien inspecteur des Finances et ancien directeur général des impôts, in Europe 1, 23 septembre 2024.
[2] La Banque centrale européenne (BCE) a baissé cette semaine son taux directeur de 0,25%, le portant à 3,25%.
[3] Jérôme Fourquet, L’Archipel français : naissance d’une nation multiple et divisée, Seuil, 2020.
[4] Emmanuel Macron, Révolution, XO Éditions, 2016.
[5] Une licorne est une start-up dont la valorisation atteint ou dépasse 1 milliard de dollars.