Augmenter le pouvoir d’achat ? Et si les Français créaient ensemble de nouvelles richesses !

L’augmentation du pouvoir d’achat est un sujet clé des législatives. Une première voie est de poursuivre dans un modèle de consommation à crédit et d'augmentation des dépenses publiques. Le choix de la facilité. Une autre voie plus vertueuse, mais surtout plus rassembleuse et pérenne, est la production ensemble et le partage de nouvelles richesses.

Garder l'espoir
6 min ⋅ 21/06/2024

Le moment électoral est le moment des promesses. 

L'Institut Montaigne a réalisé le chiffrage[1] de celles du Rassemblement national, du camp présidentiel et du Nouveau Front populaire en matière de pouvoir d'achat.

Marie-Pierre de Bailliencourt, sa directrice générale, observe que « Le pouvoir d'achat apparaît comme une variable clé du vote. Il faut avoir en tête l'évolution des dépenses contraintes pour comprendre cette importance : les dépenses de logement, de mobilité et d'énergie représentaient 35 % du budget des Français il y a 20 ans, aujourd'hui c'est plutôt 45 % » et estime que « cela alimente le sentiment de déclassement, avec, en outre, des services publics qui se dégradent malgré des dépenses qui ne cessent d’augmenter[2]. »

Est-il possible de faire croître le pouvoir d’achat pour tous les Français ? 

Nos choix passés limitent nos marges de manœuvres d’aujourd’hui.

Les besoins futurs de dépenses publiques rendent problématique son augmentation.

Comment faire ? 

A.   Le carcan et le piège de la consommation à crédit

Depuis les années 80, la France s’enferme dans un carcan dont la sortie est de plus en plus problématique. 

Les Français maintiennent artificiellement leur pouvoir d'achat. 

« Entre 2017 et 2023, malgré l'inflation, le gain de pouvoir d'achat moyen a été de 0,5 % par an. C'est bien plus que sous les quinquennats Sarkozy (+0,2 %) et Hollande (+0,1 %). Depuis 2020, le pouvoir d'achat en France progresse deux fois plus vite qu'en Allemagne. » rappelle Jean-Francis Pécresse du journal Les Échos[3].

Mais cette augmentation a été obtenue principalement par la réduction d’impôts financées par l’augmentation de la dette. 

Car depuis quarante ans, les Français consomment plus qu’ils ne produisent.

Les entrepôts et les magasins de la grande distribution ont remplacé les usines. La consommation a crû. L’inflation a été contenue jusqu’en 2022. Mais au prix d’une désindustrialisation, d’une érosion de la classe moyenne et d’un envol de l’endettement public.

La dette française est passée de 100 milliards d’euros en 1981 à plus de 3100 milliards aujourd’hui. Dont 1000 milliards supplémentaires depuis 2017. Début juin, l’agence de notation américaine, Standard & Poor’s (S&P) a abaissé la note de la dette française. Cette semaine, la Commission européenne a ouvert contre la France une procédure pour déficit excessif.

La situation de la France est comparable à celle de nos compatriotes en difficulté, piégés par le surendettement, qui peinent à rembourser leurs crédits à la consommation, au point d'en souscrire de nouveaux pour rembourser les premiers ; et dont l’horizon de temps se rétrécit au très court terme, avec l'impossibilité de se projeter au-delà de l’urgence du quotidien, tellement leurs marges de manœuvre sont réduites.

Tous les mois, l’État français dépense 14 milliards de plus que ses recettes. Et emprunte le même montant.  

B.    La stagnation économique

On aurait pu espérer que cette politique de consommation à crédit produise de la croissance.

Ce n’est pas le cas. 

Au cours des cinq dernières années, en moyenne, la croissance annuelle française est inférieure à 1%.  

Depuis 2019, la France a crû de 2 % au total (comme le Royaume-Uni, malgré le Brexit), contre 7,5 % outre-Atlantique[4].

Avant la décision de la dissolution de l'Assemblée nationale, la Banque de France prévoyait une croissance de 0,8% en 2024 et une inflation de 2,5%, une forme de stagflation. 

Car il y a un fondamental en économie. Ce sont les gains de productivité – et la démographie – qui font la croissance. 

C.   La paupérisation de la classe moyenne

On aurait pu aussi imaginer que le maintien du pouvoir d'achat par la dette préserve le moral de la classe moyenne. 

Surtout dans un pays réputé pour pratiquer une forte redistribution. L’écart de revenu en France entre les 10 % ayant les revenus les plus élevés et les 10 % ayant les revenus les plus faibles est de 1 à 13 avant redistribution et de 1 à 7 après redistribution, voire de 1 à 3 après prise en compte des services publics. 

 Mais le résultat des élections européennes a montré que ce n'est pas le cas.  Ces politiques ne corrigent pas le sentiment profond de dépossession et d'appauvrissement et n’empêchent pas l’aggravation des inégalités de destin.

D.   De réels progrès d’attractivité mais eux aussi à crédit

Pourtant, sous la présidence d’Emmanuel Macron, la France est devenue beaucoup plus attractive aux yeux des investisseurs étrangers. 

La « start-up nation »

Le pari de la « start-up nation » a été gagné. 

La France comptait deux licornes – start-up valorisées plus d’un milliard d’euros mais pas encore cotées en bourse – en 2018. Elles sont trente aujourd’hui. 

Elles viennent récompenser la cohérence dans la durée d’un politique en faveur de l’innovation et des start-up : création de la Banque publique d'investissement en 2012, création de la Mission French Tech en 2013, création du salon VivaTech dédié aux start-up en 2016, création du pôle universitaire Paris Saclay en 2019, et bien d’autres initiatives. 

Avec des progrès qualitatifs : l’expansion d’un écosystème d’innovation, une nouvelle génération d’entrepreneurs, une nouvelle filière de développeurs. 

A écouter le gouvernement, la bataille de la réindustrialisation est bien engagée avec un plan France 2030 doté de plus de 30 milliards d’euros. Les errements de la politique énergétique, notamment dans le nucléaire, ont été corrigés. La trajectoire de baisse des émissions de CO2 a été chiffrée puis engagée. Une partie des impôts qui pèsent sur les entreprises ont été réduits (IS et impôts de production). Le marché du travail a été amélioré. L’apprentissage a été relancé. Et surtout, le chômage a baissé.

Les grands événements comme « Choose France » sont des succès internationaux. 

L’attractivité en hausse

L’attractivité de la France aux yeux des investisseurs étrangers s'est améliorée. En 2019, la France était le premier pays d’Europe pour l’accueil des investissements directs étrangers (IDE) avec 19 % des projets[5]. En 2022, la France demeurait, pour la 3e année consécutive, le pays le plus attractif d’Europe sur ce critère[6]. Idem en 2023. 

Les fondamentaux de l’économie à la traine

On aurait pu penser que toutes ces mesures produisent sur une dizaine d'années une amélioration très notable des fondamentaux de l’économie française. Là aussi ce ne fut pas le cas. Ou pas encore le cas…

L’industrie manufacturière française – responsable de 80% de l’exportation – reste l'un des plus bas d'Europe à 10% du PIB. Le déficit commercial est toujours fortement dans le rouge. Notre richesse par habitant ne cesse de baisser. La Suisse et la France avaient le même PIB par tête en 1974. Celui de la Suisse est aujourd’hui deux fois et demie plus élevé que le nôtre[7]

Pourquoi ?

La modernisation économique et la politique de l’offre ont été largement financées par l’augmentation de la dette. 

Il n’y a pas eu d’économies dans les dépenses publiques, ni de modification significative des charges que le modèle social français fait peser sur les entreprises. 

Des ressources de fonctionnaires et de contractuels ont été ajoutées dans des organisations publiques sclérosées, sans véritable réforme structurelle de l’État, ni réinvention des services publics. 

E.    Les nombreuses dépenses à venir

Ce désordre dans les comptes publics et ce défaut de réinvention est d’autant plus handicapant que de nombreuses dépenses sont à venir.

La France et l’Europe sont au début de deux transitions majeures : l’indispensable transition écologique qui va augmenter les coûts de production ; l'inévitable transition démographique qui rendra insoutenable le modèle actuel de répartition ou un nombre d'actifs toujours plus petit doit financer un nombre d'inactifs toujours plus grand.

Sans compter la nécessité de renforcer l’État de droit, la sécurité et nos moyens de défense dans une société plus polarisée et violente, et une Europe qui redécouvre la guerre à ses portes. 

F.     La nouvelle frontière : produire et partager ensemble de nouvelles richesses 

Comment sortir de cette impasse dans laquelle nous nous sommes enfermés ? Comment rassurer nos créanciers tout en répondant à l’inquiétude des classes populaires ? Comment financer les dépenses futures nécessaires et inéluctables ? 

La réforme de l'État, la refondation des services publics, la mise sous contrôle des dépenses publiques sont évidemment nécessaires. 

Mais il faut être particulièrement optimiste pour espérer voir ces sujets traités avec courage et détermination dans les années qui viennent. Les quarante dernières années nous ont montré notre capacité exceptionnelle à procrastiner et refuser l’obstacle. 

Changer de modèle

Un autre angle, sans renoncer au premier, est plus porteur d’espoir : provoquer un sursaut collectif en changeant profondément de modèle. 

« Pour relever autant de défis il faut aller chercher la ressource là où elle est, dans les profondeurs de la société. Il va falloir prendre beaucoup plus de risques. Il va falloir faire de grands efforts et moins demander aux États. L’économie des entrepreneurs, base d’une prospérité de masse, est la solution[8]. » C’est la conviction de Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d’investissement.

Quel est ce changement de modèle ?

Il s’agit de passer d’un modèle de consommation à crédit à un modèle de production en masse de nouvelles richesses. 

L’enjeu n’est pas que national, il est aussi européen : « L’Europe est devenue un continent d’épargnants et de consommateurs au lieu d’être un continent d’investisseurs et de producteurs. Aujourd’hui, elle est à la croisée des chemins. Elle doit soit changer de cap et accepter la prise de risque, soit se voir infliger des risques par d’autres. Sans producteurs forts et innovants, il ne sera plus possible un jour de financer notre modèle social[9]. » explique Henri de Castries, président de l'Institut Montaigne. 

Des domaines inexplorés de création de richesse

Les révolutions technologiques et écologiques nous donnent une chance historique pour le faire.

C’est la perspective d’une nouvelle frontière et la découverte de domaines inexplorés de création de richesse dans les industries du futur et l’économie de la vie : intelligence artificielle, quantique, robotique avancée, usines 4.0, nouveaux composants électroniques ; nucléaire (SMR, durable…), renouvelables, hydrogène vert, décarbonation de l’industrie, nouveaux matériaux, recyclage ; agroéquipements, agriculture de précision, alimentation animale et végétale ; solution digitale dans la santé, biotechnologies, implants neuronaux ; solutions numériques (edtech) pour faciliter l’enseignement et l’apprentissage ; cyberdéfense et cybersécurité…

Une dynamique collective et un espoir

C’est l’opportunité de créer de la valeur et de nouveaux gains de productivité condition essentielle à l’accroissement du pouvoir d’achat.

Cette nouvelle prospérité est surtout l’occasion de créer une dynamique collective qui fait défaut à la France : favoriser toujours plus la liberté d’entreprendre ; oser encourager les Français à travailler plus en travaillant mieux ; accroitre la participation et l’épargne salariée ; oser démocratiser l’accès au capital pour mieux partager les fruits d’une nouvelle prospérité ; réorienter massivement l’épargne vers l’entreprise ; oser faire confiance aux acteurs locaux pour réindustrialiser et réaménager les territoires.

Un plan Marshall de la prospérité

Un plan « Marshall » pour une nouvelle prospérité fondée sur les révolutions numériques et écologiques est le seul moyen de concilier augmentation du pouvoir d’achat, puissance et souveraineté, justice sociale. 

Une raison pour garder l’espoir. 

 

Garder l'espoir

 

Photo de Acton Crawford sur Unsplash



[1] https://www.institutmontaigne.org/legislatives-2024/

[2] Marie-Pierre de Bailliencourt, in Les Échos, 20 juin 2024.

[3] Jean-Francis Pécresse, in Les Échos, le 14 juin 2024.

[4] Augustin Landier, David Thesmar, in Les Échos, Le 8 févier 2024.

[5] Source : Business France. Classement fondé sur le nombre de projets. 

[6] Selon le baromètre EY, 1 222 projets d'investissements ont été recensés en 2021, soit une hausse de 24% par rapport à l'année 2020.

[7] Xavier Fontanet, in Le Figaro, 19 juin 2024. 

[8] Nicolas Dufourcq, in Le Figaro, le 9 mai 2024.

[9] Henri de Castries, In Le Figaro, le 31 mai 2024.

Garder l'espoir

Par Michel Gesquière

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