Nous courrons toujours plus vite sous un déluge d’informations toujours plus grand. Mais dans quelle direction allons-nous ? Comment les trois transitions – écologique, numérique et démographique – vont transformer notre futur ?
Elles sont souvent abordées séparément. Et pourtant, elles interagissent. Combinées, elles vont révolutionner nos vies dans les 10 à 15 années à venir. Pour le meilleur ou pour le pire. Selon que nous serons acteurs ou victimes. Avec ou sans valeurs communes. Avec ou sans vision de long terme. Voici une brève revue de ces 5 révolutions qui nous attendent.
Commençons par quelques données marquantes sur chacune des trois transitions.
Il y a huit ans, l’Accord de Paris sur le climat[1] concluait à la nécessité de contenir l’augmentation de la température de la planète à 1,5 degré Celsius par rapport à l’ère préindustrielle.
L’objectif ne sera pas tenu. Mais la réalité est têtue. Il faut sortir des énergies fossiles. La production d’énergie représente 24 % des émissions de CO2. 80% de cette production d’énergie primaire a une origine fossile (pétrole, charbon, gaz) ; 20 % seulement est une énergie décarbonée (hydraulique, nucléaire, éolien, solaire). Le challenge est mondial. Trois pays – Chine, États-Unis, Inde – concentrent 50 % des émissions.
Il faut réduire de 40 % les émissions en 2030 par rapport au niveau actuel, et de 80 % en 2050. C’est une diminution au rythme annuel de 5 à 6 %. En France, au cours de la dernière décennie, plusieurs industries lourdes étaient sur une trajectoire annuelle entre 2 à 3 %.
Les technologies du numérique – cloud[2], logiciels SaaS[3], blockchain[4], Internet des Objets (IoT), réseau 5G, ordinateur quantique – gagnent en puissance. Leurs usages s’étendent pour moderniser l’économie.
Le numérique virtualise[5] la réalité pour mieux agir sur elle. Les jumeaux numériques[6] nés dans l’aviation et l’automobile étendent leur champ à l’urbanisme et la santé.
La robotique avancée se déploie dans les usines et les entrepôts de la grande distribution.
À bas bruit, les algorithmes de l’IA s’immiscent dans notre quotidien. Ils sont présents dans le commerce en ligne et les réseaux sociaux pour cibler la publicité et personnaliser la relation. Ils se déploient dans le transport pour les rendre plus autonomes. Ils s’intègrent avec l’Internet des Objets dans l’industrie et l’énergie pour prévoir et piloter. Ils entrent dans le champ de la santé comme un assistant, en commençant par la radiologie et l’oncologie. Ils sont utilisés dans les systèmes de recrutement des entreprises et jusque dans l’organisation des rencontres amoureuses.
L’année 2007 a été marquée par le lancement de l’iPhone. L’année 2023 est celle de l’IA générative[7]. Elle fait une entrée fracassante avec l’annonce de ChatGPT[8]. Ce n'est pas encore une intelligence mais c'est déjà une révolution. Elle permet à un internaute de dialoguer dans sa propre langue avec un système d'intelligence artificielle pour répondre à toutes sortes de questions. Le système exploite toutes les données stockées et accessibles sur Internet. Dans sa première version, le système a été entraîné avec les données disponibles jusqu’à la fin de l’année 2021.
La population de l’Europe et de la Russie devrait passer de 742 millions en 2017 à 716 millions en 2050. Celle de l’Afrique devrait doubler, passant de 1,2 milliard d’habitants à 2,5 milliards.
Le taux de fécondité en France était de 2,03 enfants par femme en 2010. Il est en 2022 de 1,8.
Le solde naturel – différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès – a été divisé par 5 entre 2006 et 2022[9]. Il est aujourd’hui nul.
En 2022, 21,1 % de la population de l’UE avait plus de 65 ans, selon Eurostat. C’est 3,1 points de plus qu’il y a dix ans. La France est dans la moyenne de l’UE.
Entre 2020 et 2030, le nombre des Français âgés de 75 à 84 ans va augmenter de 50 % passant de 4,1 millions à 6,1 millions[10].
La pression migratoire s’accroit. En 20 ans, le nombre annuel de premiers titres de séjour a augmenté de 153 % et le nombre de demandeurs d’asiles de 227 %[11].
Ces transitions vont façonner et révolutionner notre futur. Au moins de cinq façons.
La logique du « consommer plus », notamment en ligne. Les activités en ligne dopées aux algorithmes se développent : commerce électronique et services financiers, divertissement et jeux, organisation des transports, télémédecine. Elles remodèlent notre quotidien. Pour la satisfaction du consommateur. Avec pour corollaire la montée de l’individualisme et de la déliaison sociale.
L’émergence du « consommer mieux ». L’urgence climatique fait progresser la conscience écologique. Une consommation plus durable se développe. On parle de sobriété et de plaisir à consommer avec plus modération et une meilleure expérience. Le besoin de sens s’affirme. Une aspiration à retrouver la vertu des contacts et de la solidarité s’exprime.
Qui l’emportera ? le plus ou le mieux.
Le monde bascule inévitablement vers des énergies non fossiles, nucléaires et renouvelables. L’électrification et la décarbonation du système de production s’accélèrent. Favorisées par l’essor du numérique et de l’IA.
C’est l’opportunité d’une réindustrialisation verte. Et l’investissement dans plus d’une dizaine de filières d’avenir. L’IA et le quantique. Le nucléaire, les renouvelables, le stockage de l’énergie, la décarbonation, l’économie circulaire. L’agriculture de précision et l’alimentation durable. Les biotechnologies et la santé digitale.
C’est une chance pour réaménager nos territoires. A condition de retrouver au plus vite notre compétitivité dans l’énergie. Pas d’industrie sans une énergie bon marché. Pas de redressement de notre commerce extérieur sans industrie manufacturière. Pas de souveraineté sans industrie.
Après la désindustrialisation de la mondialisation, allons nous saisir la chance d’ une réindustrialisation verte de l’après mondialisation ?
Une révolution industrielle est toujours un moment de destruction créatrice[12]. Avec un déplacement massif d’emplois qui nécessite une révolution des compétences. Plus facile à dire qu’à faire…
Les destructions. L’IA générative automatisera des activités intellectuelles. Le droit, le conseil, le journalisme, la finance, la recherche, le codage informatique notamment seront impactés. Une nouvelle vague de productivité se formera dans les grandes entreprises et les administrations. La transition écologique réduira progressivement les emplois liés à l’énergie fossile comme ceux de la filière du moteur à explosion.
Les créations. Elles seront portées par les industries du futur. Le numérique engendre déjà un essor des métiers de la « Tech ». L’urgence climatique crée des besoins dans la rénovation énergétique et l’économie circulaire. La transition démographique suscitera de nombreux emplois dans les services à domicile et dans la santé.
Les nouvelles filières industrielles seront une occasion historique de réinventer des emplois bien rémunérés. De récréer des qualifications et des postes de cadres intermédiaires. De réaménager intelligemment les territoires.
Les trois transitions ont besoin d’un nouvel équilibre entre les métiers de la tête, de la main et du cœur[13]. Avec l’opportunité de revaloriser les métiers déclassés.
Les causes sont nobles : l’urgence climatique, l’émancipation et le bien-être, la solidarité entre les générations. Libérée de la bureaucratie, elles peuvent redonner du sens au travail.
La révolution du travail : une chance pour associer les activités à forte valeur économique et les activités à forte valeur ajoutée sociale ? Pour combiner création de richesses, bien-être et solidarité.
Les moteurs de recherche et les réseaux sociaux ont déjà profondément modifié notre rapport au savoir. Pour le meilleur avec une facilité, une gratuité, une diversité qui libèrent et émancipent. Pour le pire avec des plateformes qui aliènent, hystérisent, désinforment, crétinisent.
L’IA générative sera un brillant assistant documentaire qui remplacera les moteurs de recherche. Sa puissance est dans la synthèse documentée, structurée. L'accès au savoir devient une « commodité ». Puissant, uniforme, mal tracée dans ses sources, et sans conscience. Au moins à ce jour et dans les versions actuelles de l’IA générative. N’insultons pas l’avenir.
Avec un risque d’altérer notre propre intelligence humaine au lieu de l’augmenter. Sauf si nous développons notre capacité et celle de nos enfants à maîtriser un savoir historique, culturel, scientifique qui permet d'exercer l’esprit critique et l’indépendance d’esprit. Pour penser par soi-même. Pour préserver l’introspection et la création. Pour se différencier dans ses réalisations. Pour orienter sa vie. C’est une vrai révolution et un énorme défi.
La révolution du savoir ouvre sur un dilemme. Comment augmenter l’intelligence humaine sans l’appauvrir ?
Le vieillissement de la population et les progrès vertigineux de la science et de la médecine vont provoquer une révolution de la longévité.
C’est révolution est un progrès. Mais elle va poser des questions de solidarité économique et humaine entre les générations. Pour le meilleur, avec une refondation de la transmission et des liens. Pour le pire, avec le risque d’une marchandisation du corps et de la vieillesse sans dignité ni solidarité.
Rien n’est encore définitivement écrit.
Nous avons l’expérience de la mondialisation qui a suivi les trente glorieuses. Le monde des entreprises s’est remarquablement adapté. Le pouvoir du consommateur a cru. La société civile a subi et s’est divisée entre gagnants et perdants.
Est-il possible de réussir demain là ou hier nous avons échoué ? Oui avec une vision de long terme, des valeurs partagées et des politiques publiques audacieuses. En mobilisant nos atouts majeurs : la culture, l’inventivité française et l’indépendance d’esprit, le jeu collectif.
Tout est encore possible. Une raison pour garder l’espoir.
[1] L’Accord de Paris sur le climat est un traité international sur le réchauffement climatique adopté en 2015 à Paris.
[2] Le Cloud désigne un ensemble de serveurs et de moyens de stockage de données installé dans un réseau de centres de calcul. Le cloud fournit à distance une puissance informatique.
[3] SaaS signifie Software As a Service. C’est un logiciel informatique accessible comme un service. Il existe des solutions SaaS pour la messagerie, le stockage des données, la gestion des photos, la collaboration entre internautes, la cybersécurité, la gestion d’entreprises, et bien d’autres applications.
[4] Blockchain signifie littéralement une chaîne de blocs pour désigner un type particulier de base de données où le stockage de l’information s’effectue de façon sécurisée dans chacun des maillons d’une chaîne. On utilise notamment la Blockchain pour tracer des produits dans l’alimentaire, sécuriser des transactions financières et juridiques, opérer des cryptomonnaies comme le bitcoin.
[5] Virtualiser signifie créer des objets et/ou des services virtuels à partir de la réalité.
[6] Un jumeau numérique est un logiciel qui permet de créer une représentation virtuelle d'un objet ou d'un système. En France, le leader de ces logiciels est la société Dassault Systèmes.
[7] L’IA générative est un type d’intelligence artificielle qui est capable de générer des données, des images, des textes, des sons de façon autonome. ChatGPT est un prototype qui fait partie de cette branche de l’intelligence artificielle.
[8] ChatGPT est un prototype d’agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle. Il a été développé par la société OpenAI. GPT signifie « Générative Pre-trained Transformer ».
[9] Les chiffres de la natalité : bouleversement du paysage démographique de la France, in Le Figaro, 15 janvier 2024.
[10] Source : Haut-Commissariat au Plan, 2023.
[11] Les chiffres de la natalité : bouleversement du paysage démographique de la France, in Le Figaro, 15 janvier 2024.
[12] Le concept de destruction créatrice est attribué à Joseph Schumpeter, économiste, né le 8 février 1883 à Triesch, en Moravie. Il est le spécialiste de l’économie de l’innovation. Ses travaux expliquent comment l’innovation est à l’origine d’un double mécanisme de destruction et de création d’emplois.
[13] David Goodhart, La Tête, la Main et le Cœur, Les Arènes, 2020.