Notre modèle de société à crédit est à bout de souffle. A court terme, la France doit éviter une crise financière majeure de ses finances publiques. Sans assise politique et sans hypothéquer l’avenir. Comment faire en attendant un indispensable changement de modèle ?
La crise de nos finances publiques vient conclure un cycle de 40 ans.
Depuis 1981, nous vivons dans un modèle de consommation et social financé par la dette.
Un modèle dans lequel la France dépense plus qu’elle ne gagne. Et vit au-dessus de ses moyens.
2017 n’a rompu avec cette pratique.
Les efforts louables pour atténuer les effets des crises – Covid-19, guerre en Ukraine, inflation –, la politique de l’offre favorable aux entreprises, les réductions bienvenues d’impôts ont tous été financés par un accroissement de la dette. En incluant les 70 milliards annuels de subventions pour les retraites, c’est une augmentation de 900 milliards de la dette en 7 ans pour la porter à plus de 3200 milliards aujourd’hui[1].
Ce modèle est à bout de souffle.
Cette dette hors contrôle, multipliée par 30 en 40 ans, se combine avec une stagnation économique, une paupérisation de la classe moyenne, une désindustrialisation massive des territoires.
Le monde se transforme sous l’effet d’un nouveau cycle technologique, d’une transition écologique, et d’un mouvement de déglobalisation. Nous allons vivre un bouleversement sans précédent dans les 10 à 20 ans à venir.
Pour saisir les opportunités de ce monde à venir, et rompre avec une illusion de richesses, un changement de modèle est nécessaire : privilégier la production sur la consommation ; privilégier l’investissement, l’innovation et le travail sur l’endettement ; sortir des excès de l’individualisme ; retrouver le sens du collectif et de l’intérêt commun.
Dans l’UE, les déficits des États membres ne doivent pas dépasser 3% du PIB.
En 2024, on anticipe un déficit de 6% pour la France.
Pour retrouver une souveraineté économique, la France devrait, sur une décennie, viser un déficit de 1%, avec un excédent primaire de 1%, c’est-à-dire des recettes supérieures aux dépenses avant paiement des intérêts de la dette. Soit un effort de 5% de PIB, c’est-à-dire, 140 milliards.
Pour se conformer au Pacte européen de stabilité et de croissance, la France doit diminuer de 1% son déficit par an dans les 3 années à venir. C’est un effort de 28 à 30 milliards par an.
Les dépenses publiques sont d’environ 1600 milliards d’euros. C’est 9% de plus que la moyenne de l’UE. Les dépenses sociales sont le premier poste avec 900 milliards. Elles sont à l’origine de 2/3 de l’écart avec l’UE. Le second poste – 700 milliards – est le régalien, l’État, les collectivités locales, les services publics. C’est 1/3 de l’écart avec l’UE.
Les retraites – 380 milliards – sont le premier poste de dépenses sociales. Elles représentent 40% du déficit actuel. Les cotisations et l'impôt financent 310 milliards sur les 380. Le reste – 70 milliards – est financé annuellement par l'augmentation de la dette.
Les Français en moyenne et sur toute la durée d’une vie travaillent 10% de moins que nos voisins. Si nous avions le même taux d’emploi qu’eux, nous aurions potentiellement et théoriquement 120 milliards de recettes publiques supplémentaires par an.
La priorité à court terme est d’éviter une perte de confiance des investisseurs internationaux et des détenteurs de dettes françaises.
Tout en gardant l’espoir : si les Français recréaient, à l’occasion des révolutions numériques et écologiques, un moteur puissant de production ; si les Français travaillaient plus, mieux avec de meilleures salaires ; si les Français trouvaient collectivement un moyen d’équilibrer les retraites, notamment par l’ajout d’une dose de capitalisation, alors la France pourrait atteindre puis dépasser l’objectif de 1% de déficit, retrouver sa souveraineté économique et politique au sein de l’UE et dans le monde.
Les réformes structurelles sont connues : efficacité de la dépense publique, réduction du millefeuille administratif, cure d’amaigrissement de la machine administrative ; mutualisation des systèmes de gestion des dépenses sociales ; partenariats public-privé dans les services publics pour ne citer que les principales.
Elles ne sont pas possibles à court terme : la dissolution ratée n’a pas donné une assise politique et une légitimité au gouvernement pour les conduire.
Il faut donc faire à court terme sans réformes de structure. La tentation et la facilité sont d’augmenter les impôts. L’objectif est évidemment politique. Le premier ministre parle de 20 milliards. Dans l’un des pays les plus redistributifs du monde, l’augmentation des impôts est la mauvaise réponse à un vrai problème, celui des inégalités de revenu et de destin.
Pour rappel, l’écart de revenu en France entre les 10 % ayant les revenus les plus élevés et les 10 % ayant les revenus les plus faibles est de 1 à 13 avant redistribution, de 1 à 7 après redistribution, voire de 1 à 3 après prise en compte des services publics.
Limiter au maximum les hausses d’impôt, mais surtout sanctuariser les budgets qui préparent l'avenir. La recherche, la formation l'éducation. L'énergie. Les technologies du futur. Mais aussi la sécurité et la défense dans un monde de plus en plus conflictuel et dangereux.
Il est possible de réduire certaines dépenses publiques, notamment dans la santé, le travail, l’apprentissage, le logement sans affecter les services essentiels. Cela implique d'identifier les postes budgétaires où les dépenses sont mal utilisées ou inefficaces, ou encore les effets d’aubaine.
Les allégements de charges représentent 80 milliards d’euros. Il y a la piste de la meilleure distribution de ces allègements sur la courbe des bas salaires : maintien entre 1 et 1,6 SMIC et prolongement jusqu’à 2,5 ; avec un meilleure ciblage ; avec une réduction des effets d’aubaine[2].
Certaines subventions peuvent être aussi réorientées vers des secteurs porteurs ou simplement supprimées si elles ne sont plus pertinentes.
La machine administrative est surdimensionnée dans les administrations françaises. Par exemple dans la fonction publique hospitalière, il y a 35% d’administratif en France contre 22% en Allemagne[3]. Il y a une possibilité de faire à la fois des économies – dans l’administratif –, de renforcer les moyens dédiés aux soins, d’améliorer la qualité du service aux citoyens. C’est vrai aussi pour l’éducation nationale, la justice, la sécurité.
Il faut poursuivre la lutte contre l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale abusive. Et intensifier celle contre toutes les formes de fraude sociale. Notamment en s’aidant des outils numériques avec par exemple la sécurisation des cartes vitales en les adossant aux cartes d’identité numérique.
Une révision des niches fiscales peut-être conduite. Certaines niches fiscales peuvent être limitées ou supprimées si elles ne sont plus justifiées.
Il y a en France 1200 agences qui représentent un coût de 80 milliards d’euros.
Le premier ministre évoque un enjeu de 1 à 2% de PIB. Il donne des exemples : trois dispositifs pour accompagner la transition vers le véhicule électrique ; deux agences pour promouvoir l’économie française à l’étranger ; le rapprochement des agences du sport avec le ministère du même nom[4].
La crise actuelle des finances publiques vient clore un cycle de vie à crédit commencé en 1981. Elle est grave mais nous pouvons la surmonter. En faisant preuve de responsabilité collective. En ayant l’obsession de « délivrer » les économies promises vis-à-vis des marchés financiers. En choisissant celles qui n’« hypothèquent » pas l’avenir.
Mais réduire les dépenses ne fait pas un projet de société.
Les Français n’ont jamais eu autant besoin d’un grand dessein qui les rassemble et qui leur redonne l’espoir pour aborder les bouleversements du monde à venir.
La présidentielle de 2022 aurait dû être l’occasion d’en parler. Ce ne fut pas le cas. Le débat a été occulté. Une fois la crise surmontée, il sera impératif de proposer et de débattre d’un autre modèle et d’une autre ambition pour la France et pour l’Europe.
Photo de Willfried Wende sur Unsplash
[1][1] Jean-Pascal Beaufret, ancien inspecteur des Finances et ancien directeur général des impôts, in Europe 1, 23 septembre 2024.
[2] Antoine Bozio et Etienne Wasmer, Les politiques d’exonérations de cotisations sociales : une inflexion nécessaire, France Stratégue, Octobre 2024.
[3] Christian Saint-Etienne, in LCI Face aux experts, le 3 octobre 2024.
[4] Michel Barnier, 1er ministre, in La Tribune Dimanche, le 6 octobre 2024.