La crise des dépenses publiques signe la fin du modèle « étato-consumériste ». La France va entrer dans un hiver économique. Pour en sortir, la France doit rompre avec ce modèle ; libérer la création de richesses ; rénover son modèle social. Seul la force d’un ambitieux pacte social avec des droits et des devoirs permettra de relever ce défi.
Le déficit public de 2024 devrait dépasser 6% du PIB, deux fois le plafond autorisé pour les États membres de l’UE. L’endettement public, supérieur à 3200 milliards d’euros, est en augmentation de 890[1] milliards depuis 2017.
La France est exposée à un effet boule de neige[2] : le coût de sa dette augmente plus vite que la capacité de l’État à la rembourser par la croissance de son économie ; ce qui va conduire l’État à emprunter davantage pour rembourser ses intérêts.
La crise financière se double d’une crise institutionnelle et politique : trois groupes parlementaires irréconciliables ; un gouvernement sans majorité à la merci d’un motion de censure ; un budget préparé dans la précipitation et probablement adopté par un 49-3 sans vote à l’assemblée.
Le Premier ministre doit tenter d’éteindre le feu sans « trop » endommager l’économie. Il fera de son mieux.
Le résultat est prévisible. Une fois le budget adopté et exécuté, la France aura plus d’impôts et de suppressions d’exonérations que d’économies réelles. Et un report des réformes structurelles.
Les conditions sont réunies pour produire un effet récessif sur une économie déjà atone, aggravant l’effet boule de neige.
Depuis 1981, nous nous sommes habitués à consommer plus que nous ne produisons.
Sous l’effet de la globalisation, la France s’est désindustrialisée. Les Français ont préservé leur pouvoir d’achat par l’expansion continue d’un État providence et une consommation à crédit.
La dette, multipliée par 30 en 40 ans, nous a donné l’illusion de la richesse.
Au cours des dix dernières années, la politique de l’offre pro entreprises a fait baisser le chômage, augmenter l’attractivité économique de la France, et favoriser l’essor des start-up.
Mais sans remise en cause du modèle, sans réforme de l’État et des services publics, les fondamentaux de l’économie française ont continué à se dégrader gravement : pas ou peu de croissance ; double déficit public et du commerce extérieur ; explosion de la dette publique ; baisse de la productivité ; et finalement perte de la souveraineté économique.
Le modèle actuel nous conduit inévitablement vers une paupérisation de la France.
Sans la possibilité de lever de nouvelles dettes, nous serons contraints de revoir notre ambition à la baisse. Nous ne pourrons plus pérenniser notre modèle social dont les Français sont si fiers ; ni assurer un ascenseur social et des perspectives pour la classe moyenne ; ni financer les transitions écologiques et démographiques.
Les fractures sociales s’accroitront. Les conflits entre générations se développeront.
Dans la langue chinoise, le mot pour « crise » est composé de deux caractères : le premier 危 (wēi) signifie « menace ». Le second 机 (jī) signifie « moment crucial » ou « opportunité ». Ensemble, ils forment le mot « 危机 » (wēijī), la crise.
La crise combinée aux grandes transitions à venir crée un moment favorable à la réinvention.
Le train Mistral de la SNCF lancé en 1950 mettait quatre heures pour relier Paris à Lyon. En fin de vie, il était devenu, bruyant, inconfortable, couteux à entretenir. Les ingénieurs imaginèrent le TGV qui fut lancé en 1981: deux heures au lieu de quatre entre Paris et Lyon ; un confort en hausse ; des défaillances en baisse.
C’est la beauté de la réinvention.
Dans bien des domaines, le moment est historique pour se réinventer et passer du Mistral au TGV.
Le fonctionnement de l’État et des services publics doit être reformé.
Les transitions écologiques et numériques seront des catalyseurs pour repenser nos modes de production, nos modes de consommation et nos infrastructures, retrouver de la compétitivité, ouvrir de nouvelles filières industrielles, promouvoir des technologies propres, encourager l'innovation verte.
L’intelligence artificielle et la robotique avancée ont le potentiel d’accroitre la productivité dans l’industrie et les services privés et publics.
Les entrepreneurs vont continuer à jouer un rôle majeur pour innover et réindustrialiser.
Les jeunes générations inciteront à évoluer vers modèles économiques et sociaux plus durables, responsables, équitables.
L’évolution de la mondialisation poussera les États et les entreprises à repenser leurs chaines globales d’approvisionnement, réduire leurs dépendances critiques, préserver leurs domaines de souveraineté.
Le moment est venu de faire un choix collectif et constructif d’un autre modèle.
En donnant la préférence à la création de richesse et en préservant un modèle social rénové et modernisé.
Nous devons pour cela renoncer à consommer plus que ne nous produisons.
Les Français doivent travailler, investir et créer plus. Ils doivent réduire la dépense publique et la rendre plus efficace.
En retour, ils peuvent espérer de grands progrès : résoudre les fractures sociales et rétablir un ascenseur social ; accroitre leur pouvoir d’achat ; sauver leur modèle social ; financer les transitions écologiques et démographiques.
Les bénéfices ne sont pas théoriques. Ils sont possibles à réaliser.
En alignant notre taux d’emploi sur celui de nos voisins, nous avons potentiellement 120 milliards de recettes publiques supplémentaires par an.
En réduisant de moitié l’écart de dépenses publiques avec la moyenne de l’EU, nous pouvons économiser 50 milliards par an.
En libérant la croissance, nous pouvons accroitre la richesse des Français. Avec une croissance annuel de 1% il faut 70 ans, soit deux générations, pour doubler la richesse nationale. Avec une croissance annuelle de 3%, il faut 25 ans, moins d’une génération.
Cet autre modèle français a vocation à devenir une brique essentielle du renouveau de l’Europe.
Il fait écho au manifeste européen de Mario Draghi pour une Europe compétitive qui privilégie l’innovation et l’innovation et s’attaque lucidement aux dysfonctionnements et dérives des Institutions européennes.
La vertu d’un pacte social est de rassembler l'ensemble des Français et des parties prenantes pour répondre aux enjeux du moment, fabriquer l'adhésion la plus large, créer une nouvelle dynamique.
Nous avons su le faire de nombreuses fois dans notre histoire.
En 1945, à la libération, la France adoptait le modèle de la sécurité sociale conçu comme un système de protection universelle avait pour ambition d’assurer la couverture des risques sociaux, notamment la maladie, la vieillesse, et les accidents du travail. Imaginé par le Conseil national de la Résistance, il reposait sur une vision de solidarité entre les citoyens, basée sur le financement par les cotisations.
Un second pacte social sera à l’origine du succès des Trente Glorieuses (1945-1975), une longue période de croissance soutenue par une forte productivité et une intervention active de l’État.
La France se modernisera et mettra en place un modèle de répartition des richesses qui profitera à l’ensemble de la population : élévation du niveau de vie, réduction des inégalités, émergence d’une classe moyenne stable.
Après les Trente Glorieuses, le modèle « étato-consummériste » s’imposera progressivement, par défaut, sans le soutien d’un nouveau grand pacte social avec les Français.
Pour aller vers un autre modèle et retrouver un avenir plus prospère et équitable, nous devons imaginer ce nouveau pacte social ambitieux fondé sur un équilibre de droits et de devoirs :
💡 Augmentation du pouvoir d’achat des Français en échange de nouveaux gains de productivité, de l’amélioration des conditions de travail, d’incitations à travailler plus avec une modulation en fonction des âges et des moments la vie.
💡 Évolution progressive vers un système de retraite à point plus simple, plus souple avec un complément de capitalisation notamment pour les jeunes générations.
💡 Plan pluriannuel d’investissement dans la recherche, l’innovation, la réindustrialisation, la décarbonation avec un allègement des charges programmé et conditionné par un plan pluriannuel d’économie dans la sphère publique.
💡 Plan pluriannuel d’économie dans les dépenses publiques basé sur une réforme structurelle de l’État et son recentrage sur le régalien ; la suppression des doublons dans le millefeuille administratif ; la débureaucratisation, l’autonomie et la responsabilisation des établissements ; une plus grande efficacité des dépenses publiques ; une réduction de la taille de la machine administrative.
Les exemples internationaux de refondation sont riches et nombreux.
💡 Le modèle de flexisécurité suédois et scandinave.
💡 Le modèle éducatif et social de la cité-État de Singapour.
💡 Le modèle « Mittelsand » (PME et entreprises de taille intermédiaire) en Allemagne.
💡 Les « Green New deal » du Danemark et des États-Unis.
💡 Le modèle fédéral suisse : décentralisation, rigueur budgétaire, dynamisme économique.
💡 La modernisation du secteur public en Nouvelle-Zélande.
💡 Les réformes budgétaires et la modernisation post-crise de 2008 du Portugal.
💡 L’intégration au Canada.
Nous vivons une crise financière, institutionnelle et un chaos politique. Espérons temporaire.
Bien malin qui peut prédire l’avenir du paysage politique français.
Le grand pacte social que nous appelons de nos vœux devra être incarné.
Mais le pire serait de s’en remettre à l’hypothétique arrivée d’une personnalité providentielle. Si tel est le cas dans un futur proche, ce sera une providence pour la France.
Mais le renouveau sera le résultat d’une volonté collective.
Une fenêtre décisive et passionnante de 10-15 ans s’ouvre avec de nombreuses opportunités.
C’est une chance pour chaque Français pour s’engager : la création, l’innovation, les start-up ; les PME/ETI, la réindustrialisation, l’énergie ; la réinvention des métiers traditionnels comme la finance, l’assurance, les services ; la réinvention de l’État et des services publics ; la protection de la nature et la transition écologique ; la transition alimentaire ; la réinvention du système de santé, le secteur social, le bien-être…
Il faut le faire sans attendre.
L’épargne, le travail, l’investissement, la production, la création étant des valeurs sures pour traverser cet hiver économique et se préparer à un nouveau et grand pacte social.
Photo de Piret Ilver sur Unsplash
[1] 220 milliards pour le « quoi qu’il en coute », 200 milliards de réduction d’impôts pour les entreprises et les ménages, 440 milliards de financement du déficit des retraites, 30 milliards d’augmentation d’actifs (prise de participation dans des entreprises). Source : Jean-Pascal Beaufret, ancien inspecteur des Finances et ancien directeur général des impôts, in Europe 1, 23 septembre 2024.
[2] La croissance économique incluant l’inflation est inférieure au taux d’intérêt, 3% versus 3,5%.