Notre modèle de consommation à crédit qui paupérise la classe moyenne est à bout de souffle. L’inflation, une économie atone, la fin de l’argent gratuit vont provoquer un choc financier sur une dette hors contrôle. C’est le moment pour privilégier la production et l'investissement. Et ambitionner une nouvelle prospérité plus durable et équitable.
Depuis 1981, nous vivons dans un modèle de consommation à crédit.
Les entrepôts et les magasins de la grande distribution ont remplacé les usines. La consommation a crû. L’inflation a été contenue jusqu’en 2022. Mais au prix d’une désindustrialisation, d’une érosion de la classe moyenne et d’un envol de l’endettement public.
Nous finançons le maintien du pouvoir d'achat des Français en contractant une dette sur les générations futures.
Nous sommes drogués à l'argent public.
La pandémie de COVID-19 a amplifié le phénomène.
Le nécessaire « quoi qu'il en coûte » a ancré chez les Français l’idée que l'augmentation de la dette n’avait pas de véritable limite.
Nous avons bénéficié depuis la crise financière de 2008 d'une situation très particulière dans laquelle les banques centrales ont rendu l'argent quasiment gratuit pour soutenir la consommation et éviter la récession.
Une manne pour les États qui ont pu s'endetter sans en payer le prix, en créant une illusion de richesse.
La France en a beaucoup usé et abusé.
Avec pour certains la tentation du "too big to fail" (trop grand pour échouer) : parier que la défaillance de la dette française aurait des conséquences si graves pour l'économie de la zone euro que nos partenaires, la BCE, l’UE seront toujours là pour nous secourir !
Depuis 2017, sous la présidence d’Emmanuel Macron, des efforts très louables ont été faits pour encourager les start-ups, rendre la France plus attractive, réduire les impôts, favoriser la fluidité du marché du travail, encourager l'apprentissage, relancer le nucléaire et corriger les errements idéologiques de 2012, lancer une réindustrialisation du pays.
Le chômage a baissé. Il était de 9,5% en 2015. Il a atteint 7% fin 2022, son plus bas niveau depuis 1982. Il est sensiblement remonté depuis quelques mois à 7,5%.
Le pari de la « start-up nation » a été gagné. La France comptait deux licornes – start-up valorisées plus d’un milliard d’euros mais pas encore cotées en bourse – en 2018. Elles sont trente aujourd’hui.
L’attractivité de la France aux yeux des investisseurs étrangers s'est améliorée. En 2023, pour la 4ième année consécutive, la France est le premier pays d’Europe pour le nombre de projet d’investissements directs étrangers (IDE).
Et pourtant, la situation sociale et économique de la France s'est fortement dégradée.
Plusieurs fondamentaux économiques sont dans le rouge : stagnation économique avec une croissance annuelle en moyenne de 0,5% depuis 2019 inférieure à celle de l’UE ; paupérisation de la classe moyenne malgré une légère progression du pouvoir d’achat par la baisse des impôts ; déficit extérieur de 100 milliards en 2023 après un triste record de 160 milliards en 2022 ; baisse de la productivité de 6% depuis 2019.
Pourquoi cette politique favorable aux entreprises, que les économistes appellent la politique de l'offre, a produit des résultats aussi décevants ?
La raison principale est à rechercher dans une révolution – attendue et promise par Emmanuel Macron – qui n’a pas eu lieu.
La France est restée dans un modèle de consommation à crédit, de plus en plus « Étatisé ». Jérôme Fourquet, analyste politique et directeur du département Opinion à l’IFOP, a trouvé un mot pour le décrire. Il parle de modèle « stato-consumériste »[1].
Nous n'avons pas osé remettre en cause ce modèle.
Or ce modèle est à bout de souffle.
En 1981, la dette française était de 100 milliards d’euros. La France disposait de marges de manœuvre financière, fruit d’une bonne gestion passée des comptes publics.
La France bénéfice de la protection de l’euro depuis 1999.
En quarante ans, la dette a été multipliée par 30. En 2024, elle a atteint 3100 milliards, dont 1000 milliards supplémentaires depuis 2017.
La France est prise au piège du carcan d’une dette hors contrôle.
Un événement est passé inaperçu qui aura des conséquences redoutables. Depuis juillet 2022, l’argent a cessé d’être gratuit.
Pour lutter contre l’inflation, les banques centrales ont décidé de remonter rapidement et fortement les taux.
Les intérêts que doit payer la France augmentent plus vite que sa capacité à les rembourser. Dit autrement, notre croissance est insuffisante pour financer des charges d’intérêts en hausse.
Avant la dissolution de l’Assemblée nationale, les prévisions de croissance de l’économie française – inflation comprise – était au mieux de 3,3%[2] pour 2024.
Le taux de la BCE[3] est depuis le 12 juin 2024 de 4,25%[4].
Avec 3,3% de croissance et 4,25% de taux d’intérêt, la situation française est intenable.
Avec un facteur aggravant pour la soutenabilité : a demande de nouvelles dépenses publiques n'a jamais été aussi importante.
Pas seulement pour des raisons électorales, comme on le voit dans les programmes des partis politiques pour les législatives du 7 juillet 2024. Mais aussi pour des raisons beaucoup plus structurelles : le vieillissement de la population, la lutte contre le réchauffement climatique, la réindustrialisation, le renforcement de l’État de droit, de la sécurité et de nos moyens de défense.
Début juin de cette année, l’agence de notation américaine, Standard & Poor’s (S&P) a abaissé la note de la dette française.
La semaine dernière, la Commission européenne a ouvert contre la France une procédure pour déficit excessif.
Un choc sur la dette française est inévitable.
La France bénéficie encore de conditions exceptionnellement favorables sur les marchés financiers comparée à ses voisins bien gérés. Les différences de taux – ce que les spécialistes appellent le spread – entre l'Allemagne précautionneuse et la France dépensière sont très faibles.
Mais pour combien de temps encore ?
Quel événement, quelle décision, quelle annonce provoquera une correction violente des marchés ?
On cache cette vérité aux Français.
Une crise est d’abord une souffrance supplémentaire pour les plus fragiles.
Mais c’est aussi une opportunité pour prendre conscience que la France ne peut continuer dans la voie actuelle.
Un changement de modèle est nécessaire : donner la préférence à la production sur la consommation, à l’investissement sur l’endettement.
En entrainant l’Europe dans cette voie – pour bénéficier d’économie d’échelle –, la France sera plus forte pour relever les grands défis du XXIe siècle : la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la nature ; la révolution du numérique et de l’IA qui peut accroitre la productivité, libérer le travail mais aussi l’aliéner ; la réduction des inégalités.
La France peut viser un grand dessein avec l’espoir de créer une nouvelle prospérité plus durable, plus équitable, plus émancipatrice pour tous les Français.
C'est une profonde rupture avec la pratique des quarante dernières années.
Listons plusieurs corolaires importants de ce changement de modèle.
Une incitation à travailler plus et mieux. Pour créer de nouvelles richesses, il faut accroitre la quantité de travail et la productivité ; il faut oser le dire, mais surtout, il faut oser le faire en incitant à travailler plus, en travaillant mieux, avec une meilleure rémunération.
Un investissement massif dans la recherche, les industries du futur, l’économie de la vie, la sécurité et la défense. Le plan d’investissement France 2030 va dans la bonne direction, celle de l'investissement dans la transition écologique et les industries du futur. Il est doté de 30 milliards d’euros. C’est ce que l'État français dépense en 2 mois pour son train de vie, c’est-à-dire pour combler l'écart entre ses recettes et ses dépenses. Notre modèle est incapable de mobiliser des moyens à la hauteur des enjeux pour financer la recherche et provoquer un sursaut industriel et un réaménagement profond du territoire.
La mobilisation de l’épargne vers l’investissement plutôt que le financement de la dette. Pour investir massivement sans accroitre massivement notre dette, la seule solution est de mobiliser l’épargne des Français. Cette épargne est abondante mais principalement orientée vers le financement de la dette. Il s’agit de la réorienter, là aussi massivement, vers le monde de l'entreprise, de l'investissement et de la création de richesse.
Le capital au secours des retraites. C’est une cause importante du déficit structurel de l’État français. Le nombre de retraités augmente. Celui des actifs diminue. Le modèle de répartition actuel n'est pas soutenable. Les réformes sont les retraites sont douloureuses et conflictuelles. Elles ne règlent pas structurellement et fondamentalement le problème. L’État continue à financer le déficit. Il faut préserver la répartition et recourir à la rémunération du capital pour sauver le système. Il faut oser lever ce tabou, rassurer et convaincre les Français.
La réinvention des services publics. Nous ajoutons depuis des années des ressources dans des organisations sclérosées. C’est contre-productif et la cause principale de leur déclin. Il faut les réinventer, réduire la taille de la machine administrative en utilisant le numérique pour accroître l'efficacité dans le “back office” et redéployer des ressources pour réhumaniser le “front office”, c'est-à-dire toutes les activités en relation avec le citoyens.
La simplification et la débureaucratisation. Le choc de simplification date de 2013. Dix ans plus tard, la complexité administrative est toujours là et l'inflation de production normative n'a pas cessé. À nouveau l'exécutif s'est emparé du sujet pour communiquer dessus. Mais aucun plan d'ampleur n'a été défini pour traiter à la source le problème. Pourtant, c’est un levier essentiel à la fois pour optimiser la dépense publique, mais aussi pour favoriser la liberté d'entreprendre et libérer la croissance.
L’efficacité de la dépense publique et la chasse aux dépenses inutiles. Si l'on veut augmenter le nombre et les rémunérations des fonctionnaires nécessaires dans le régalien, l'éducation, la santé, et préserver le modèle social français, il faut avoir le courage d’accroitre l’efficacité de la dépense publique et chasser les dépenses inutiles. Est-ce que les Français vivraient moins bien avec une réduction des frais de gestion de la protection sociale ; sans surconsommation de médicaments ; sans le millefeuille administratif, les structures et les agences inutiles ; sans fraudes fiscales et sociales ?
Pour réussir ce changement majeur, il faut d'abord convaincre les Français qu'il n'est plus possible de continuer avec le modèle actuel.
Il est probable qu'il faille passer par un choc financier externe pour que la prise de conscience soit effective.
Il faut ensuite montrer l'issue, donner une direction qui offre l'espoir : un nouveau modèle qui débouche sur une nouvelle prospérité pour tous les Français.
Il faut enfin, et c'est peut-être le plus important, rendre tous les Français, individuellement et au travers des corps intermédiaires, acteurs de ce changement.
La cohérence vient du haut mais la pertinence vient du bas.
On a besoin d'un exécutif qui fixe un cap. On a besoin d’une mobilisation des Français pour apporter la pertinence et l’intelligence dans la mise en œuvre de ce nouveau modèle.
Les anglo-saxons ont une expressions pour cela. La combinaison du Top Down (de haut en bas) et du Bottom Up (de bas en haut).
Un changement de modèle de cette ampleur est l’affaire d'une ou plusieurs décennies.
Il faut investir aujourd'hui pour produire un bénéfice dans le futur.
Mais à l'heure des réseaux sociaux et de l’information en continu, le temps politique dans une démocratie ne cesse de se raccourcir.
Pour faire accepter un tel effort dans la durée, il faut montrer que la direction est bonne avec un ensemble d’actions à courte terme qui débouche sur des résultats concrets et visibles. C'est l'effet des cent premiers jours dont parle souvent les spécialistes de la science politique. Tout particulièrement dans quatre domaines : la revalorisation du travail ; la mobilisation de l'épargne vers l'investissement ; la simplification administrative ; la réduction des dépenses inutiles.
Le monde se transforme sous l’effet d’un nouveau cycle technologique et d’une transition écologique. La globalisation est en train de muter. Nous sommes à un point de bascule. Une fenêtre décisive de 10-15 ans s’ouvre. Nous vivons une période troublée à plusieurs titres. Les Français ont besoin de se raccrocher à des boussoles.
L'une d'elles est de comprendre que notre modèle de consommation à crédit est à bout de souffle ; et que seul un changement radical qui privilégie l'investissement et la production pourra produire une nouvelle prospérité plus durable pour la planète et plus équitable.
Un motif pour garder l’espoir. A condition que la France se réinvente avec et au bénéfice de tous.
Photo de Nick Fewings sur Unsplash
[1] Jérome Fourquet, in Le Figaro, 13 mai 2024.
[2] La prévision de la Banque de France est une croissance de 0,8% en 2024. L'inflation serait de 2,5%. La croissance, dite nominale, c’est à dire avec l’inflation serait de 3,3%.
[3] La Banque centrale européenne (BCE) est l'institution chargée de mener la politique monétaire au sein de la zone euro.
[4] Le taux de la BCE est depuis le 12 juin 2024 de 4,25% . ll est passé de -0,5% en 2022 à 4,25% en aout 2023. Il était précédemment de 4,50 % depuis le 20 septembre 2023.